Lorsque ma collègue, Evelyne Bonnerot, a demandé des volontaires pour participer à un groupe de travail, nous avons été surpris de voir 15 des 35 élèves se proposer. Alors que nous sommes en octobre, que ces élèves viennent d’arriver au lycée, qu’ils sont dans l’incertitude de réussir, qu’ils ont à résoudre une multitude de problèmes nouveaux, avoir une heure de plus à l’emploi du temps, pour une activité non immédiatement rentable sur le plan scolaire, et en sachant qu’ils vont être confronté à des situations difficiles ne les rebute pas. Les démarches protocolaires et administratives ayant duré plus longtemps que prévu ce sont les élèves qui ont insisté pour que le groupe commence à fonctionner.
Ainsi, l’élève qui réussit n’est pas « néophobe ». La nouveauté ne lui fait pas peur. Au contraire elle l’attire, le stimule. A contrario, on sait combien les élèves en difficulté sont routiniers dans leur vie quotidienne. Par exemple nous avons observé à la cantine du collège que ces élèves préfèrent rester avec la faim, plutôt que manger un plat qui ne leur est pas familier, disant ne pas aimer alors qu’ils n’ont pas essayé et même refuse d’y goûter. En classe, l’élève qui réussit se met spontanément en attente de la tâche qui va lui être proposée. Il est physiquement calme, et son attention est dirigée vers le Maître. Par contre les élève en difficulté se dispersent dans le papillonnage et l’activisme physique. Il fuit l’entrée dans la tâche. Avec ces élèves il faut une manœuvre de captation de l’attention, un discours calme et posé familiarisant avec la tâche pour éviter un contact trop brutal, et désamorcer l’angoisse.
En effet, la nouveauté - aller vers l’inconnu- est toujours une prise de risque. Les animaux redoutent ce qui n’est pas comme à l’ordinaire. Quand une entrée sensorielle ne peut s’intégrer aux réseaux neuronaux pré établis, l’inquiétude naît. Si l’événement est identifié comme dangereux l’animal développe trois types de réponses : la fuite, la sidération ou l’agression. Pour l’élève en difficulté l’école est perçue comme dangereuse et recourra à ces attitudes. Par contre pour l’élève qui réussit l’école n’est pas ressentie comme dangereuse. Il développera alors une démarche d’exploration et donc d’apprentissage. L’élève qui réussit est même friand de défi à relever. On sait l’adolescent tenté par la prise de risque. Si l’élève en difficulté va prendre des risques physiques et sociaux souvent de façon inconsidérée, le « bon » élève recherchera le risque dans des situations plus intellectuelles. Pour lui c’est un risque calculé, plus une sensation de risque qu’un risque réel. Il joue au danger. Car il sait par expérience qu’il a une forte probabilité de réussite et que l’échec, toujours possible, n’est pas rédhibitoire. Son expérience de bon élève fait qu’il est « équilibré » au sens où il n’est pas un « déséquilibré ». On estime que pour être « équilibré » il faut dans sa vie quotidienne avoir deux tiers de réussites pour un tiers de déceptions. Les circuits de récompenses étant solidement installés peuvent alors « encaisser » les échecs sans pour autant faire sombrer l’individu dans le pessimisme et la dépression. L’élève en difficulté au contraire a des circuits de déception hautement stimulés qui amoindrissent ses capacités intellectuelle et qui l’aspirent dans la spirale l’échec.

Il semblerait donc que le vécu détermine le vécu, mais changer le vécu pourrait-t-il changer le vécu ?

Il faut savoir que la spirale de la réussite s’initie au plus jeune âge par la relation avec la mère.
Annie Birraux dans son livre « le corps adolescent » le dit très bien : « La mère est un objet qui procure à l’enfant les satisfactions dont il a besoin pour organiser le temps et l’espace. La disponibilité physique et psychique qu’elle doit lui accorder est irremplaçable. Elle calme ses pleurs et ses tensions internes ; elle filtre les excitations externes. Elle prend en charge ses peurs et ses angoisses. La quiétude qui résulte de cette relation demeure exemplaire de la quête inconsciente de tout sujet dans les moments critiques de son existence. »
Nous avons là le profil de la mère sécure dont parle Boris Cyrulnik dans son livre « Les vilains petits canards » Cette mère induit un comportement typique de l’enfant :
« …un enfant qui, sécurisé par la présence familière, n’hésite pas à s’éloigner de sa mère pour explorer son petit monde et revenir vers elle partager l’enthousiasme de ses découvertes. Au moment de la première séparation, un tel enfant trouve une solution pour résoudre son angoisse. Il se rapproche de la porte, se concentre sur ses découvertes, accepte un peu les tentatives d’apaisement de la personne inconnue et, dès que sa mère revient, il se précipite vers elle pour échanger quelques contacts et sourires en lui montrant le résultat de ses explorations. »
C’est le sentiment de sécurité qui autorise les comportements exploratoires, l’initiative, l’audace. Nous voyons ce phénomène dans l’histoire de l’humanité. Les grandes civilisation se sont développées en période de prospérité, c’est-à-dire quand il était possible de bâtir des projets car le quotidien était moins pressant. Certes l’état de besoin et de vulnérabilité oblige à être créatif mais c’est dans le besoin immédiat, pour faire face à l’urgence vitale. Alors il n’y plus assez de ressource pour investir c’est-à-dire dépenser son énergie aujourd’hui pour un résultat incertain et plus tard.
L’élève qui réussit n’hésite pas à s’investir dans une activité intellectuelle gratuite. Dans un climat de jeu, où l’on est sérieux sans se prendre au sérieux, l’élève peut calmement développer des capacités mentales de traitement de la nouveauté qui lui seront utiles dans le domaine scolaire. L’élève en difficulté par contre ne se porte pas volontaire sur une activité intellectuelle gratuite. Il veut du « soutien » directement rentable pour l’école. Il se replie sur le contenu, sur les traits de surfaces de l’activité. Il veut du résultat tout de suite. Et ce faisant il perpétue sa situation d’échec.
Ainsi les élèves que nous avons observés au Lycée Blaise Pascal à Clermont-Ferrand, et qui sont des élèves en réussite scolaire, ne sont pas néophobes, ils aiment les défis, et savent s’investir dans des activités intellectuelles gratuites dont ils tirent le plus grand profit.